lundi 21 décembre 2020

Premier chapitre de mon quatrième thriller : trilogie projet arthemis.

 La libellule noire n'est pas encore sortie, car je n'ai pas encore reçu les réponses de tous les éditeurs, mais un quatrième thriller a commencé à germer dans mon esprit en octobre 2020. En voici donc le premier chapitre ! Il reprend certains personnages de Projet Arthemis et l'ombre de Comenius.

L'intrigue se situera en Islande et aux USA, avec peut-être quelques crochets ailleurs, vous me connaissez !
J'ai cette fois-ci une intrigue en rapport avec le changement climatique, mais je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir cette petite mise en bouche.
 


Islande

 

                Le groupe d’une cinquantaine de personnes avançait depuis maintenant plus de quatre heures. Emmitouflée dans une combinaison de haute technicité qu’elle avait payé une fortune, Joanne suivait d’un pas alerte le guide qui ouvrait la marche. Elle avait toujours été très sportive et prenait aujourd’hui un malin plaisir à montrer à son mari qu’elle le distançait facilement. Habitant à La Nouvelle Orléans, elle n’était pas coutumière du climat qu’elle subissait depuis maintenant deux semaines. Ce voyage, elle en avait rêvé depuis de nombreuses années, mais une grossesse imprévue et un enfant autiste en avaient décidé autrement. Durant cinq années, sans répit, elle avait donné sans compter, sacrifiant sa carrière d’ingénieure à la Lockheed Martin Space Systems Company, un des principaux industriels intervenant dans le domaine spatial civil et militaire, ses loisirs, ses vacances, et jusqu’à sa moindre parcelle de vie sociale. Sacha était un enfant merveilleux et jamais elle ne regretterait de l’avoir eu. Mais la société n’était pas adaptée pour lui. Hypersensible au bruit, intolérant au changement de ses habitudes, qui devaient être scrupuleusement respectées pour éviter une crise, son état s’était brutalement dégradé quand il était entré à l’école. Tant qu’il était resté avec sa mère, celle-ci avait tout fait pour le protéger de ce qui pouvait l’agresser. Mais en collectivité, cela n’avait plus été possible et les enseignants avaient appelé de plus en plus souvent à la maison. Au début, Sacha se balançait errait dans la classe en se tenant la tête entre ses petites mains si crispées. Puis, les choses s’étaient accélérées, quand un de ses camarades avait voulu le serrer fort dans ses bras. Cela partait d’un bon sentiment, mais Sacha n’avait pas supporté et l’avait frappé. Un coup de pied dans le ventre en se débattant. Joanne savait qu’il n’avait pas fait cela pour l’agresser mais plutôt pour fuir une situation insupportable à ses yeux. Mais les parents de l’enfant n’avaient pas voulu comprendre, n’avaient pas voulu entendre. Ils avaient écrit une pétition qu’ils avaient fait circuler auprès d’autres parents d’élèves, demandant à ce que Sacha soit écarté de l’école. Joanne s’était mise en colère, pleine de tristesse et de rancœur à la fois. Comment pouvaient-ils être aussi insensibles ? Sacha n’était jamais violent envers les autres si on respectait son espace vital. Le seul danger qu’il représentait était souvent pour lui. Durant ses crises, il pouvait aller jusqu’à se griffer, se frapper, se projeter contre un mur en cas de stress ou de frustration trop intense. On ne pouvait capter son regard, toujours un peu ailleurs, mouvant, insaisissable. Joanne s’était souvent demandée ce qui se cachait derrière ces prunelles d’un bleu éclatant, si différents de ses yeux bruns à elle et à son mari. De qui les tenait-il ? Cela ajoutait à son aspect si particulier, qui effrayait maintenant les autres. Quand il était encore tout petit, la plupart de ses amies le trouvaient adorable et calme. Mais quand il avait commencé à marcher, avec sa démarche gauche et maladroite, quand les sons sortis de sa bouche n’avaient pas ressemblé à ceux des autres enfants, les regards s’étaient faits à la fois insistants et dérobés. Une fois le diagnostic posé, elle avait eu droit au défilé interminable des avis plus ou moins éclairés. Son enfant idéalisé, celui sont elle avait rêvé durant sa grossesse était mort depuis belle lurette. Mais un autre l’avait remplacé, plein de surprises et d’imprévus, et pour lequel elle nourrissait un amour sans bornes.

Depuis six mois pourtant, elle commençait à s’épuiser. Trop de fatigue, trop de stress, et si peu d’aide de la société, des amis, de la famille. Alors elle avait commencé à avoir du mal à se lever, à manger, à dormir. Heureusement, Noah, son mari, avait décidé pour elle. Il était temps qu’ils recommencent à profiter un peu de l’existence. Il s’était démené pour trouver un centre d’accueil temporaire qui accepterait Sacha. Joanne avait aperçu un soir une enveloppe avec dedans deux billets pour l’Islande. Cette terre isolée et aride l’avait toujours fait rêver. Quasiment sans arbres, avec des geysers et des cratères encore en activité, des glaciers et des étendues désertes, c’était l’endroit parfait pour repartir d’un bon pied. Elle en avait besoin, il fallait qu’elle se prouve que la vie n’était pas qu’une succession d’épreuves, qu’il y avait encore des plaisirs auxquels elle pouvait accéder, que son couple n’était pas juste un pont entre deux rives abîmées.

                L’air était frais autour d’elle et elle se retourna pour sourire à son mari, l’encourageant à aller plus vite. On commençait à entendre le bruit sourd de la glace qui bougeait insidieusement dans l’étendue d’eau, qui débutait maintenant  à quelques centaines de mètres d’eux. Elle avait l’impression d’avoir devant elle une toile de maître avec un nombre infini de nuances de bleu et de gris. Elle n’aurait jamais cru possible de pouvoir en embrasser autant en un seul regard. Sur le dessus du glacier, les pierres et la poussière qui s’accumulaient au fil des années donnait une impression de saleté, mais ce n’était pas le cas. Le guide leur avait expliqué que l’endroit était un des moins pollué de l’île. L’Islande faisait très attention à son patrimoine naturel, point clef de son économie touristique. En dessous de cet amas sombre, elle distinguait maintenant nettement le bleu profond signant l’intérieur de la glace. Reflet de la mer autant que du ciel, cette teinte étonnante l’attirait comme un aimant. Elle n’arrivait plus à détourner les yeux de cette beauté quasi parfaite, avançant mécaniquement vers ce qu’il lui semblait être la plus belle chose sur terre. Depuis qu’ils étaient en Islande, ils avaient vu de nombreuses merveilles, mais ce glacier était clairement le clou du spectacle. Ils étaient maintenant à quelques mètres seulement des gros blocs de moraine qui s’étaient détachés du glacier et avaient échoué sur le rivage, le rendant difficilement praticable.

                - On va avancer groupés, cela commence à devenir dangereux ici, les prévint le guide. Faites attention où vous mettez les pieds et regardez bien le sol pour éviter de glisser sur la glace ou sur les cailloux.

                Les cheveux blonds clairs, les yeux marron et rieurs, il était jeune et sympathique, prenant manifestement un grand plaisir à se trouver dans cette nature qu’il affectionnait tant. Joanne le sentait passionné par son travail, même si elle avait cru comprendre qu’il ne s’agissait que d’un job d’appoint. Il avait des connaissances précises sur la faune et notamment sur les oiseaux marins, qui profitaient de la manne alimentaire qui pullulait dans les eaux riches en plancton de la région.

                - Est-ce qu’il y a des orques ici ? demanda Joanne.

                - Non, les familles sont de moins en moins nombreuses ces dernières années, répondit le guide avec nostalgie. Quand j’étais petit, j’en voyais souvent qui longeaient la côte dans le secteur, mais cette année, on a eu une perte de 30% des effectifs répertoriés lors des comptages en mer.

                - Ils sont partis ? demanda Joanne               

                - On ne sait pas, à vrai dire. On a perdu la trace de pas mal d’individus ces temps-ci. Les orques ont pourtant une structure sociale stable, avec des matriarches à leur tête. Les grands mâles sont solitaires ou se regroupent en bandes. Mais les femelles restent ensemble toute leur vie. Ça ne devrait donc pas diminuer aussi drastiquement. On n’a pas eu d’échouage sur les plages, donc on penche plutôt pour une migration vers un endroit plus accueillant.

                - Je pensais que l’Islande était une terre préservée, ce n’est pas le cas ?

                - Par rapport à d’autres pays, si bien sûr. Mais ici comme ailleurs, la surpêche a fait des ravages. Les orques norvégiens et islandais se nourrissent de hareng, contrairement à celles qui vivent en Argentine par exemple, qui mangent des otaries. Elles les attrapent sur les plages, en s’échouant volontairement, c’est très impressionnant. J’irai voir ça en vrai un jour, avant qu’elles désertent aussi ce coin là. Mais en Islande, faute de hareng, on a vu les orques maigrir de façon très rapide quand on a analysé les photos avec les scientifiques. Cela se voit surtout lorsque l’on prend des clichés aériens avec des drones. On remarque alors que les zones blanches derrière les yeux deviennent creuses, c’est un très mauvais signe pour l’animal en question. En général, les orques touchés par ce phénomène d’amaigrissement décèdent rapidement. Hors depuis plusieurs mois, on a repéré de nombreuses baleines qui présentaient ce problème. Elles n’ont plus assez de harengs et le bruit permanent induit par les bateaux perturbe leurs techniques de chasse par écholocalisation. Je vous conseille plutôt d’aller sur la péninsule de Snaefellsnes si vous voulez voir des baleines.

                - Ah ? Merci du tuyau en tout cas, on verra si on peut y faire un crochet avant de retourner aux USA.

                - Vous êtes d’où ?

                - De la Nouvelle-Orléans, répondit Joanne.

                - C’est la première fois que je vois quelqu’un de cette ville, j’avoue que cela me plairait beaucoup d’aller y passer une semaine ou deux. J’aime la musique de la Louisiane  et la culture Cajun me fascine assez. C’est tellement dépaysant par rapport à l’Islande, répondit le guide les yeux brillants d’excitation.

                - C’est sûr, pour moi aussi c’est différent ici ! C’est d’ailleurs pour ça qu’on est venu là.

                Joanne était encore arrêtée, tournée vers le guide, quand elle vit son regard changer d’expression brutalement. Instinctivement, elle repéra où était son mari, qui avait continué à avancer vers l’eau en les devançant, quand un craquement sinistre se fit entendre. En une longue et terrible seconde, Joanne regarda le glacier qui s’étalait devant elle se fissurer dans un craquement dantesque. Sa main se crispa instinctivement sur son bâton de marche mais elle resta tétanisée, tandis que le guide hurlait aux touristes de faire demi-tour, à grand renfort de moulinets de bras destinés aux personnes qui étaient un peu trop loin pour l’entendre. Devant eux, un pan entier de glace acérée venait de se détacher. Il était tombé avec fracas dans l’eau noire et froide, et passées les éclaboussures initiales, qui arrachèrent des exclamations de joie aux membres du groupe qui s’étaient pour la plupart rués sur leurs téléphones portables pour immortaliser ce moment, un vent de panique s’installa rapidement. Des cris de peur succédèrent à l’enthousiasme devant la vague menaçante qui venait de naître à moins de cent cinquante mètres d’eux. Une partie du groupe était presque arrivé au bord de l’eau et certains avaient commencé à partir en courant en sens inverse. Mais Joanne n’arrivait plus à bouger. Fascinée, elle regardait la vague se former avec une lenteur qu’elle trouvait déconcertante. Comment une telle masse de liquide pouvait-elle se lever ainsi ? La main de son mari, qui venait d’agripper la sienne en imprimant un mouvement saccadé à son bras pour tenter de la faire réagir, la tira de sa contemplation. L’espace d’un instant, elle eut envie de rester là, d’attendre que cette force de la nature l’emporte et mette fin au combat qu’elle menait depuis tant d’années maintenant. La paix, enfin retrouvée.

                - Joanne, mais qu’est-ce que tu fous ? hurla son mari en la tirant avec force, aidé par le guide.

                Une émotion primale venue du fond des âges se répandit alors dans son corps. Elle cligna mécaniquement des yeux, sentant rouler une larme sur ses joues, unique témoin de son bref moment d’abandon. Il fallait qu’elle vive. Pour Sacha. Avec toute l’énergie dont elle était capable, elle commença à courir au milieu des pierres et de la glace, essayant de ne pas se retourner pour regarder l’inexorable avancée de la vague. Celle-ci mesurait maintenant près de dix mètres de haut et le spectacle était à la fois magnifique et terrible. Entrainée, Joanne dépassa rapidement le guide, tenant toujours son mari par la main, quand son pied buta sur une pierre, les entraînant tous deux vers le sol. Le guide se retourna immédiatement pour les aider à se relever, mais le mari de Joanne resta à terre, grimaçant de douleur. Elle regarda avec terreur sa cheville brisée, dont l’os était visible, et la montagne d’eau qui se rapprochait à une allure vertigineuse. Noah se retourna péniblement pour regarder le danger qui fondait sur eux, puis, les yeux implorants, fit un signe de tête au guide qui le tenait toujours pas le bras.

                - On y va, vite ! cria le guide en tentant de la forcer à avancer.

                - Non !! hurla-t-elle, pas sans lui !

                - Pars !! Pour Sacha ! lui répondit Noah sur le même ton.

                Même si la situation était d’une violence psychique inouïe, elle savait qu’elle n’avait pas le choix. Dans un élan désespéré, elle tourna les talons et couru aussi vite qu’elle le pouvait, mue par la rage qui montait en elle. Contre la vie, contre la mort. Ce n’était pas pour elle qu’elle faisait cela. Mourir lui était finalement assez égal. Mais il y avait leur fils. Les yeux aveuglés par les larmes, elle entendit les derniers mots de son mari.

                - Ne te retourne pas !